Terre, Ciel, Empereur

De Terre et Ciel à Empereur
Evolution d’une peinture symbolique
Etant donné le Ciel et la Terre : l’Empereur


Jean-Francois Hugues
Artiste plasticien, 2010

RESUME


Des « Premières formes » de 2006, jusqu’à « Etant donné l’Empereur », je décris ici le parcours de cette recherche, de ces toiles.
A partir d’une symbolique simple, la terre en bas de la toile, le ciel en haut, une histoire s’est écrite, un chemin s’est pavé, de toile en toile, pour aboutir à la liaison de ces 2 symboles forts, à réaliser finalement ce que la calligraphie asiatique pose dans ses lettres : l’Empereur, celui qui relie l’homme au ciel et à la terre.
Ci-dessous l’histoire de ce parcours.

Keywords: Symbolique, ciel, terre, empereur, calligraphie

1. INTRODUCTION


Cet article raconte une histoire artistique, une histoire déclenchée par la vision d’une sculpture, et le chemin d’œuvres réalisées ensuite.

Ce chemin part d’une sculpture en bois, « Sagesse » [1], de Robert Chambon, et abouti à une toile ayant la forme écrite, asiatique, du mot « Roi-Empereur » (王 - wáng) [2].

2. GENESE

En 2005, mes gravures sur pierre me conduisent à jouer avec les mots « étoile » et « soleil » en tibétain. Une pierre gravée, en Figure 1, montre l’inscription Soleil en haut, et Etoile en bas. Après avoir réalisé cette pièce, je cherche par quel moyen symboliser dans l’espace, la terre en bas, et le ciel, le soleil, les astres, en haut. Cette recherche prendra de nombreux chemins.


Figure 1

Fig. 1. Figure 1 : Sculpture « L’Etoile et le Soleil »– 2005 - Pierre et or - 17x15cms - JF. Hugues.


En 2006, je découvre une sculpture de Robert Chambon [1], Figure 2. Cette forme de calligraphie en volume, proche de la sphère est pour moi un déclencheur : la sphère peut se déformer, devenir un carré. Et cercles et carrés peuvent s’approcher, se composer, se transformer. De fait, cette impression de jeux des formes que j’ai ressentie est assez loin de la sculpture d’origine, puisque il n’y a objectivement aucune référence à un carré à dedans. Mais elle est néanmoins le départ de cette réflexion. Du cercle et du carré, je cherche à symboliser le ciel et la terre, à les éloigner et les rapprocher.

Figure 2

Fig. 2. Figure 2 : Sculpture « Sagesse »– Robert Chambon.

3. 2006 - 2007

Figure 3 (a)               Figure 3 (b)

Fig. 3. Figure 3 (a) : Toile “Première forme part 1” - 2006. Huile sur toile – 100x50 - JF. Hugues. Figure 3 (b) : Toile “Première forme part 2” - 2006. Huile sur toile – 100x50 - JF. Hugues.

Cette première toile, « Première forme part 1 » , Figure 3 (a), contient déjà l’ensemble des éléments sur lesquels se jouera la suite de la recherche.

Initialement, cette toile était la première d’un triptyque. On verra plus loin que ce projet n’a pas abouti.

En bas, une section de cercle rouge/brun, fait opposition au rectangle vert en haut. Entre les deux, deux formes se succèdent, une forme inspirée de la sculpture, une sorte de cercle avec deux extensions, et, au dessus, un carré contenant lui-même un autre carré non centré.

Dans le carré figurent des inscriptions. Si ces inscriptions, lettres, disparaissent dans la suite de la série, elles seront les sujets principaux d’autres toiles, d’autres séries.

En ce qui concerne les dimensions, les placements, une géométrie du nombre d’or est appliquée assez systématiquement, et en final, les formes « fonctionnent » sans ajustement particulier.

On reconnaît ici aussi les contrastes de couleurs rouges et jaune/or, que l’on reverra plus tard.

La deuxième toile, « Première forme part 2 », figure 3 (b), reprend les composante essentielles de la toile précédente, en inversant les deux formes centrales. Elle est cependant beaucoup plus laborieuse, et souffre de nombreux mois de changements, avant que je ne la décide « terminée », plus par dépit que par aboutissement. Cette toile aurait du être la 3ie d’un triptyque. Dans la deuxième, je voulais décrire la rencontre de ces deux formes, leur fusion nécessaire avant qu’elles ne s’inversent. Mais graphiquement, je n’ai pas réussi à obtenir une composition équilibrée. Cette voie s’avère en quelque sorte un échec, et ne sera pas poursuivie. Le triptyque n’existe donc pas.

4. 2008 – LES PIECES DU PUZZLE

En 2008 mes couleurs se simplifient, et je décide de ne travailler plus qu’en 3 couleurs de base : le noir, le rouge, l’or. Les rouges et noirs seront cependant rendus « vibrants » par des pointes de bleu. L’or est appliqué en feuille. Ma recherche va alors sur la matité ou la brillance, et je juxtapose huile en glacis avec acrylique la plus mate.

Je retravaille sur les formes de « Premières formes part1 » pour les simplifier au maximum. La sculpture se traduit par un cercle et un rectangle. L’ensemble donne une toile composée de formes que je considère comme « primitive », dans la mesure ou elles étaient génératrices des formes des toiles précédentes. Cette toile s’appelle « Formes premières », Figure 4.

Figure 4

Fig. 4. Figure 4 : Toile “Formes premières” - 2008. Acrylique, huile, or sur toile – 100x50 - JF. Hugues.

Les dimensions sont à nouveau étudiées, et j’ajoute une « marge » à gauche et à droite, en acrylique mate. Les formes internes se retrouvent d’autant plus « tendues », et explosent littéralement à l’œil.

5. NOUVEAUX CONCEPTS SUR CETTE BASE

J’explore ensuite ce genre d’agencement, à travers deux autres concepts.

Le ciel et la terre sont toujours présents, mais j’essaye de les exprimer encore plus, en écrivant puis calligraphiant les mots. Une calligraphie, Figure 4 (a) me satisfait pleinement, et j’en prends les contours, Figure 4 (b) pour en faire des formes abstraites. Puis recompose la toile dans le même esprit. La toile s’intitule : « Ciel et Terre », Figure 4 (c).


 Figure 5 (a)                                    Figure 5 (b)                                Figure 5 (c)


Fig. 5. Figure 5 (a) : Ecriture des mots Ciel et Terre - JF. Hugues. Figure 5 (b) : contours de l’écriture - JF. Hugues. Figure 5 (c) : Toile “Ciel et Terre” - 2008 - Acrylique, huile, or sur toile – 100x50 - JF. Hugues.

De plus en plus impliqué dans l’art de la construction, je repense à l’homme dessiné par da Vinci, Figure 5 (a). L’homme est contenu dans un cercle et un carré. Une géométrie précise les définie, Figure 6 (b). Géométrie que da Vinci a « traduit » des textes de Vitruvius [3]. Je décide donc de composer dans le même esprit que les toiles précédentes, mais cette fois avec trois éléments nouveaux : au centre la figure de da Vinci, en haut, le carré de la figure de l’homme, en bas le cercle. Ces cercles et quarrés contiennent en eux respectivement un carré et un cercle, d’une surface très précise, symbolisant la différence de force entre ces deux formes. Les formes initialement placées en haut et en bas de cette série sont ici abandonnées, et un léger décentrage des formes ramène un équilibre.

A cette période je lisais une biographie de Marcel Duchamp. Le titre de la toile s’imposât alors de lui-même, puisque c’est à partir d’un carré et d’un cercle que l’on construit l’humain. Le titre final est : « Etant donnés le Carré, le Cercle : l’Humain », figure 5 (c).

Figure 6 (a)                  Figure 6 (b)                  Figure 6 (c)

Fig. 6. Figure 6 (a) : Dessin de da vinci. Figure 6 (b) : construction de l’homme de da Vinci : en partant du carré ABCD, le faire pivoter de 45 degrés pour obtenir le carré EFGH. Le cercle a alors pour diamètre EI, I étant le milieu du segment DC. Figure 6 (c) : Toile “ Etant donnés le Carré, le Cercle : l’Humain” - 2008. Acrylique, huile, or sur toile – 100x50 - JF. Hugues.

Je décidais ensuite de faire deux petites toiles, reprenant le principe de cette série en minimaliste : les 2 formes hautes et base, et un cercle central contenant deux rectangles. Une version en extérieur rouge, intérieur noir (et or), l’autre en inversant les couleurs. On s’aperçoit là que pour obtenir un effet de même tension visuelle, les formes doivent être de taille très différente en fonction des couleurs. L’univers de Duchamp toujours présent dans mes lectures, les noms sont des jeux de mots : «Entre ciel et terre s'en font », Figure 7 (a) et « Entre ciel et terre surfons », Figure 7 (b).

Figure 7 (a)                   Figure 7 (b)

Fig. 7. Figure 7 (a) : Toile “Première ciel et terre s'en font ” - 2008. Huile et Laque sur toile – 46x38 (8F) - JF. Hugues. Figure 7 (b) : Toile “ Entre ciel et terre surfons ” - 2008. Huile et laque sur toile – 46x38 (8F) - JF. Hugues.

6. LE LIEN FINAL

Un ami asiatique me fit remarquer la construction du mot Roi-Empereur dans sa langue natale : il est essentiellement composé d’un axe vertical qui joint en bas la terre, au centre l’humain, et en haut le ciel (ou le divin) [2], figure 7 (a). Je réalisait à cet instant tout la symbolique du travail que j’avais fait : à travers la représentation du ciel et de la terre, puis la recherche sur la construction de l’humain, la suite était clairement d’associer la Terre, le Ciel et l’Humain. Naturellement, cette forme devait se traduire par une toile. C’est « Etant donné l’Empereur », Figure 8 (b).

Figure 8 (a)                           Figure 8 (b)

Fig. 7. Figure 8 (a) : Roi-Empereur en chinois : wáng.. Figure 8 (b) : Toile “ Etant donné l’empereur ” - 2009. Laque et or sur toile – 80x40 - JF. Hugues.

7. FUTUR

Pour l’instant cette série est finie. Le chemin parcouru possède une certaine forme de complétude, et nécessite un arrêt. Ce qui a été fait.

Cependant, il est probable que je reprenne ces principes pour travailler encore plus l’assemblage et la tension des formes. Dans un avenir pas si lointain.

REFERENCES


[1] Robert Chambon. Sculpture « Sagesse ». Bois : Merisier /socle pierre de Volvic. 31/27/16 cm P.U
[2] Wikipedia – sinogramme. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Sinogramme)
[3] Vitruvius, De Architectura: The planning of Temples, Book 3, Chapter I

REFERENCES - COMPLEMENT


Wikipedia – sinogramme. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Sinogramme) – extrait et copie au 17 Mars 2010 :

Les sinogrammes ne sont pas tous des idéogrammes, encore moins des hiéroglyphes ou des dessins. En effet, les sinogrammes se classent en différentes catégories, 4 principales, à savoir :
Les pictogrammes : caractères dits simples. Ils peuvent être ajoutés les uns aux autres pour former un idéogramme.
Par exemple l'oeil (目; mù ), le soleil (日; rì ) ou encore la lune (月; yuè ). Leurs explications sont parfois loin d'être explicite, mais pourtant très simples. Par exemple, 王 (wáng), "le Roi ,l'Empereur"; le premier trait horizontal du bas symbolise la Terre, celui du milieu les Hommes et êtres vivants, et le dernier vers le haut symbolise les Dieux et le ciel. D'après le sinogramme, l'Empereur n'est autre que la relation, le lien entre les Dieux et la Terre, puisque lui est symbolisé par le trait vertical qui relie tous ces éléments.
Les idéogrammes : qui sont des caractères plus complexes que les pictogrammes, car ils se composent généralement d'une clé (tout dépend de la simplification par rapport au caractère traditionnel), c'est-à-dire qu'ils peuvent être composés d'(un) autre(s) pictogramme(s). Par exemple, le sinogramme qui voudra dire "clair" ou "lumineux" sera composé du pictogramme simple du soleil et celui de la lune (日+月), ce qui donnera 明 (míng), donc une notion de clair, lumineux. Les clés sont des sinogrammes particuliers puisqu'ils ne peuvent pas être seuls. Par exemple, 讠(yán), la clé de la parole sera présente dans les mots appartenant au champ lexical de la parole ou ayant un sens proche tels que 语(yǔ), "la langue parlée" ou encore 说 (shuō), "dire, parler" (口 (kǒu) figure lui aussi souvent avec cette clé puisqu'il signifie "la bouche" mais toutefois est un pictogramme). La clé de l'eau, 氵(shuǐ) symbolisée ici par trois gouttes suit cette même règle (酒; jiǔ "l'alcool, le vin" ou encore 汊;chà "bras d'une rivière").
Les idéo-phonogrammes : qui sont des caractères composés d'une clé, et d'un élément graphique, servant à rendre un son. Cette dernière catégorie est de loin la plus nombreuse. Partant de la clé 口 (pinyin kǒu, bouche), et lui ajoutant le pictogramme 马 (pinyin mǎ, cheval), on obtient l'idéo-phonogramme 吗 (pinyin ma), particule grammaticale marquant l'interrogation, et dont le seul rapport avec le cheval est la prononciation (si l'on néglige les tons).
Les emprunts : qui sont des caractères empruntés à des originaux. Ces derniers se sont vu rajouter des éléments graphiques (ou "clés") pour les différencier. Par exemple, le sinogramme (能 néng) qui représentait l'ours (l'animal) a été emprunté pour signifier la notion de "pouvoir faire quelque chose" (physique et pas mental). Le sinogramme "ours" s'écrit désormais ainsi : 熊 (xiong). On y a rajouté la clé des "4 pattes" pour indiquer qu'il s'agit d'un animal.